26 juin 1988 - 26 juin 2018, il y a 30 ans 

La cérémonie du souvenir sur les lieux du crash avec une quarantaine de personnes, rescapés et amis.

 

      Le 26 juin 1988, il y a 30 ans, un A320 s'écrasait dans la forêt de Habsheim. C'était le

troisième exemplaire livré à Air France et le neuvième (009) fabriqué à Toulouse. 30 ans plus tard, la production de l'A320 dépasse les 8000 exemplaires livrés aux compagnies aériennes du monde entier.

      L'A320 a été lancé en 1984. Pour lutter favorablement contre les B737 et les MD 80 qui occupaient le marché, un choix technologique ambitieux s'imposait, ce fut le "glass cockpit" et le pilotage par ordinateurs.

      N'oublions pas toutefois l'état de l'art des ordinateurs des années 80, bugs, manque de fiabilité et caprices informatiques étaient monnaie courante. Autre aspect de l'époque, la méfiance viscérale d'Airbus pour protéger ses secrets de fabrication, au point que Pierre Baud, chef pilote d'Airbus avouera même ne pas tout dire aux pilotes des compagnies aériennes clientes pour éviter les fuites à travers l'Atlantique.

      Ainsi, la loi d'arrondi, ajoutée aux commandes de vol pour permettre aux pilotes de garder leurs anciennes habitudes lors de l'atterrissage, déclenchait automatiquement un ordre à piquer de l'avion lorsque la sonde détectait une hauteur de 30 pieds. Idéal au dessus d'une piste en béton dégagée.

      A Habsheim, le survol à basse altitude du petit bois en bout de piste a ainsi déclenché cette loi d'arrondi et programmé un atterrissage. L'action du pilote sur le mini manche, jusqu'en butée arrière, n'a pu contrecarrer l'ordre à piquer maintenu tout le temps du passage au dessus de la piste. "HAL 9000" avait pris la main et scellé le destin de l'avion et de ses passagers.

      D'autres causes ont précipité l'avion dans l'entonnoir fatal: le pompage d'un moteur en pleine remise des gaz annulant sa poussée, l'erreur altimétrique de 70 pieds du système et surtout le temps de retard de la transmission de l'ordre de remontée en puissance des moteurs.

      Avec cet accident la survie et l'avenir de l'avion étaient en jeu et tous les moyens devaient être engagés pour blanchir l'A320. Des voix autorisées ont rapidement expliqué aux juristes qui n'avaient aucune formation ni connaissance aéronautique ce qui devait être conclu. Des expertises complaisantes soutenues par la tutelle aéronautique nationale les ont aidés dans ce sens.

      Il sera donc conclu que "la" cause de l'accident est une faute de pilotage, une erreur humaine. Depuis, sauf pour des causes extérieures avérées, tous les accidents d'A320/A330 sont dus, eux aussi, à une erreur humaine, celle des pilotes. La "merveille" n'a pas pu être prise en défaut, à aucun moment, même si d'innombrables modifications discrètes ont émaillé les 30 ans d'utilisation de l'avion.

      La boucle de pilotage homme/ordinateur n'a jamais été remise en question et laisse l'ultime décision à la machine, même si celle-ci a été conçue par des ingénieurs pas plus à l'abri de l'erreur humaine que le dernier maillon de la chaine, le pilote aux commandes.

      20 ans seront nécessaires pour fermer le dossier judiciaire du crash de Habsheim. Au fil des ans, quelques aveux d'arrangements ont été évoqués, ainsi par le directeur de l'Aviation Civile de l'époque qui a parlé du "déverminage" (1) habituel d'un avion neuf ou le "traitement des boites noires" de Habsheim qui continue d'entretenir le soupçon et l'incrédulité dans les milieux de l'aéronautique.

      En 30 ans, une nouvelle génération de pilotes a pris les commandes. Ils ont appris à gérer des systèmes plutôt qu'à piloter un avion (2). La conduite du vol est plus facile…lorsque tout fonctionne bien, mais que survienne un caprice informatique parfois incompréhensible et…

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      En 1988, les rescapés du crash de Habsheim ont été ignorés et abandonnés. Aucun préjudice ni indemnisation sérieuse n'existaient à l'époque pour des survivants qui devaient déjà s'estimer heureux de l'être. Pas plus que de suivi psychologique d'ailleurs. Jamais les juges d'instruction successifs n'ont daigné rencontrer les passagers rescapés ou leur association. Il est vrai que celle-ci avait osé douter de la version officielle et s'était tournée vers le pilote pour tenter de comprendre les causes réelles de l'accident.

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30 ans après Habsheim, Airbus a enfin compris que le pilote doit conserver ses compétences et maintenir son savoir-faire et commence même à vanter les mérites d'un "cockpit moins automatisé favorisant la conduite manuelle". Des études sont donc entreprises pour remettre l'homme dans la boucle de pilotage et limiter les actions et le recours systématique aux automatismes.(2)

(1) déverminage: procédure de détection des faiblesses des éléments d'un système complexe

(2) https://www.usinenouvelle.com/article/en-images-comment-airbus-initie-une-conduite-plus-manuelle-dans-les-avions.N696679